La Torture, Le Traitement Inhumain et Le Traitement Degradant

Submitted by admin on Tue, 06/21/2016 - 11:04
  1. LE TORT MORAL


 

En l’espèce, le tort moral doit se décomposer en deux causes distinctes ; d’une part le tort moral prévu par l’art. 429 al. 1 lettre c CPP ; d’autre part le tort moral prévu par l’art. 431 al. 1 CPP.

  1. L’art. 429 al. 1 CPP

Monsieur Xxxxx ayant subi deux fractions de jour de privation de liberté, dans ces conditions particulièrement difficiles, souffrant notamment du froid, de la privation de ses habits, ayant subi de nombreux transferts et interrogatoires, il apparaît justifié de lui accorder un montant de CHF 800.- pour la seule privation de liberté.

Monsieur Xxxxx a par ailleurs subi un tort moral très important, indépendant de sa volonté et de ses propres actes, du fait de l’accusation extrêmement grave d’homicide qui a pesé sur lui pendant plusieurs mois. Ce tort est attesté par le Dr SIMONAZZI. A ce titre, il conviendra de lui accorder une indemnité pour tort moral de CHF 5'000.-.


 

  1. L’art. 431 al. 1 CPP

Une indemnité doit également être versée du fait des actes illicites commis par la police durant son interpellation et sa détention, soit de la violation notamment de l’art. 3 CPP, des art. 7 et 10 al. 3 de la Constitution fédérale, de l’art. 3 CEDH, de la Convention des Nations Unies contre la torture ainsi que des art. 7 et 10 du Pacte II.

Il n’est pas utile d’énoncer ici l’ensemble de ces dispositions. Toutes ont pour point commun de prohiber les traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier à l’encontre des personnes placées sous contrôle de la police ou détenues.

Le système mis en place par la Convention européenne des Droits de l’Homme étant le plus abouti et le plus complet, et celui-ci étant d’une manière générale utilisé comme référence par le Tribunal fédéral dans l’analyse d’éventuelles violations de l’art. 10 al. 3 de la Constitution fédérale, c’est sur la définition européenne de la torture, ainsi que des traitements inhumains ou dégradants, qu’il conviendra de se fonder.

C’est depuis l’Affaire grecque et l’arrêt Irlande c/ Royaume-Uni, publiés respectivement en 1969 et 1978, que la Commission, suivie par la Cour, a adopté une approche générale qui établissait la distinction entre torture, traitement inhumain et traitement dégradant. Cette approche est encore utilisée par la Cour jusqu’à ce jour.

aa) La définition de la torture

Dans l’Affaire grecque, la Commission avait indiqué que tout acte de torture était également un traitement inhumain et dégradant, et que tout traitement inhumain était également un traitement dégradant. La torture poursuit un but, tel que d’obtenir des informations ou des confessions, ou d’infliger une punition, et est en général une forme aggravée de traitements inhumains. Le traitement ou la punition d’une personne peut être considérée dégradante si elle l’humilie grossièrement devant des autres ou l’amène à agir de manière contraire à sa volonté ou à sa conscience.

Il faut relever que, pour certaines décisions, en particulier dans la décision Irlande c/ Royaume- Uni, le critère du but a été quelque peu marginalisé en faveur d’un critère fondé sur un seuil de gravité. Dans l’arrêt Irlande c/ Royaume-Uni, la Cour avait indiqué qu’un acte devait causer des souffrances graves et cruelles pour être constitutif de torture (affaire Irlande c/ Royaume-Uni, requête n° 5310/71, jugement du 18 janvier 1978, paragraphe 167).

Dans cette affaire, l’utilisation de cinq techniques d’interrogatoire utilisées par les troupes du Royaume-Uni en Irlande du Nord à l’encontre des membres suspectés de l’Armée républicaine irlandaise, soit la privation de sommeil, des positions corporelles désagréables, la privation de nourriture et de liquide, l’infliction de bruit et de capuchon sur le visage, constituaient de la torture.

La Cour européenne des Droits de l’Homme a admis, dans l’arrêt Gafgen contre Allemagne, requête 22978/05, paragraphe 108, que la menace de l’usage de la torture pouvait être considérée comme de la torture.

bb) La définition du traitement inhumain

La Commission définissait les traitements inhumains comme, à tout le moins, des traitements qui causaient de manière délibérée des souffrances graves, mentales ou physiques, et qui étaient injustifiables au vu de la situation (Affaire grecque). Dans l’affaire Irlande c/ Royaume-Uni, la Commission avait indiqué que toute définition des notions établies à l’art. 3 de la Convention devait avoir pour point de départ la notion de traitement inhumain (Irlande contre Royaume-Uni, requête No 5310/71, paragraphe 389).

Il apparaît que l’approche utilisée par la Cour européenne des Droits de l’Homme à ce jour est de maintenir, dans la catégorie des traitements inhumains, tous les actes qui ne sont pas suffisamment graves pour être considérés comme de la torture, mais qui sont trop graves pour être considérés comme un traitement dégradant.

Il faut également noter ici que dans l’arrêt Campbell et Cosans contre Royaume-Uni, requêtes No 7511/76 et No 7743/76, paragraphe 26, la Cour a retenu que la menace d’utiliser la torture pouvait, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain.

cc) La définition du traitement dégradant

La notion de traitements dégradants a donné lieu à de nombreuses analyses jurisprudentielles car il s’agit du seuil inférieur qui permet de déterminer s’il y a violation ou non de l’art. 3 CEDH. La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était dégradant lorsqu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale (arrêt Hurtado contre Suisse, requête 17549/90, paragraphe 67).

Un traitement peut aussi être dégradant lorsqu’il conduit une personne à agir contre sa volonté et sa conscience (voir par exemple l’affaire grecque).

En outre, en recherchant si un traitement est dégradant au sens de l’art. 3, la Cour examine notamment si le but était d’humilier ou de rabaisser l’intéressé. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’art. 3 (arrêt Peers contre Grèce, requête No 28524/95, paragraphes 68 et 74). Pour qu’une peine ou un traitement puissent être qualifiés d’inhumain ou de dégradant, la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celle que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime (arrêt L’Habitat contre Italie, Grande Chambre, requête No 2677/1995, paragraphe 120).

dd) L’application des principes au cas d’espèce

En l’espèce, Xxxxx a été soumis à divers traitements qui, pris ensemble, sont à tout le moins constitutifs de traitements inhumains au sens de la jurisprudence de Strasbourg :

  • Présence humiliante de la police dans la salle d’examen du médecin-légiste, alors que Xxxxx était dénudé ;

  • Présence d’une femme lors des prélèvements ADN sur son pénis ;

  • Interrogatoire mené sans information sur les droits et sans avocat ;

  • Privation de sommeil de Xxxxx du 28 avril au soir jusqu’au 29 avril au soir ;

  • Exposition prolongée au froid de Xxxxx, privé de ses habits chauds, et qui s’est plaint à plusieurs reprises de souffrir du froid ;

  • Privation du médicament broncho-dilatateur Ventolin durant toute la journée du 29 avril, combinée avec sa détention dans une cellule occupée par un fumeur à la prison de Martigny, provoquant chez Xxxxx une impression d’étouffement ;

  • Interdiction de l’usage des toilettes pendant environ 8 heures ;

  • Menace concrète de faire usage de la force pour prendre possession de son téléphone portable, en dehors de toute décision formelle dans ce sens ;

  • Menace de faire usage de la torture (submarino ou waterboarding).


 

Au titre de préparation pour ce traitement, il conviendra premièrement que le Ministère public constate que Monsieur Xxxxx a été victime d’un traitement inhumain contraire à l’art. 3 CEDH ; deuxièmement qu’il accorde à Xxxxx une indemnisation de CHF 10'000.- à ce titre.